:Interview de Guillaume Antzenberger

Guillaume Antzenberger est l’un des trois invités du peintre brésilien Herbert Baglione qui expose en décembre au Pilori. L’artiste niortais nous parle de l'évolution du graff et de l'engagement de la Ville pour cet art.

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Guillaume Antzenberger est l’un des trois invités du peintre brésilien Herbert Baglione qui expose en décembre au Pilori. Ancien graffeur, aujourd'hui graphiste et artiste, il nous livre ses impressions sur l’évolution de cette pratique et l’engagement de la Ville pour sa promotion.

  • Pourquoi es-tu l’invité d’Herbert Baglione ?

Guillaume Antzenberger : "Nous nous sommes rencontrés à Niort il y a quelques années, pendant les rencontres hip hop. Nous avions fait une expo avec d’autres peintres brésiliens, les Os Gemeos. Nous nous sommes revus quelques années plus tard lors d’une tournée de Herbert en France. On a eu le temps de partager, de faire une peinture en commun au skate parc?

  • Peux-tu nousprésenter cet artiste brésilien ?

G.A. : "C’est un garçon doté d’une forte notoriété internationale. Le prix de ses toiles est l’équivalent de celui de ma voiture. Ses œuvres sont, par exemple, publiées dans le magazine Vogue. Il vient du graff mais on ne peut pas le déduire en regardant son travail d’aujourd’hui. Il en est largement sorti. C’est un artiste majeur. Niort a été précurseur en le faisant venir alors qu’il était anonyme."

  • Comment sera organisée votre exposition commune au Pilori ?

G.A. : "La grande salle sera réservée à Herbert - en résidence pendant une semaine - et nous aurons la petite (ndlr : les trois anciens artistes du collectif Inkunstruction, Guillaume Atzenberger, Samuel François et Renaud Combes). Renaud ne sera pas présent. Il nous fait parvenir une pièce textile pour l’expo. A priori Samuel va proposer une vidéo et moi, une sculpture en métal. Mais nous allons très probablement travailler ensemble, Herbert, Samuel et moi."

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  • Comment perçois-tu l’engouement de la ville pour le graff ?

G.A. : "C’est bien de renouer avec l’histoire du graff à Niort. La ville a été l’hôte d’artistes très importants comme les Os Gemeos, Baglione, Olivier Kosta Théfaine ou SheOne et O.Two en 2010 (ceux qui ont peint la fresque du Moulin du Roc) … Si on fait un bilan, dans vingt ans, on dira que Niort était avant-gardiste. La Ville assume ses choix et propose une vision culturelle non caricaturale du graffiti.

  • Que penses-tu du travail de SheOne et O.Two sur le mur du Moulin du Roc ?

G.A. : "J’ai d’abord été surpris qu’ils aient été choisis par la municipalité. Le risque qui a été pris est finalement plus intéressant à mes yeux que le résultat lui-même. A mon avis, cette fresque fait avancer le propos par rapport à ce qu’il y avait avant".

  • Ne penses-tu pas que l’institutionnalisation du graff lui fasse perdre de sa pertinence ?

G.A. : "Pas du tout ! Il faut arrêter avec ça ! Cette démarche dite « underground » valait dans les années 70’s. Aujourd’hui le graff est partout présent, dans tous les magazines… Il est trop tard ! La typo de style graff est déjà une institution en tant que telle. Car malgré sa pratique parfois illégale, le graff est très normé en fait. Il y a beaucoup, de codes, des règles strictes dans ce milieu. Très peu de gens parviennent à faire des choses personnelles. SheOne et O.two sont des exceptions.

  • Y a-t-il toujours des graffeurs à Niort aujourd’hui ?

G.A. : "Oui. Je ne connais pas tout le monde mais je dirais qu’il y en a une soixantaine. Une certaine frange fait notamment des choses plus réalistes, de façon légale."

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  • Comment as-tu débuté dans le graff ?

G.A. : "J’ai commencé par faire des lettres, de façon illégale quand j’avais quinze ans environ.
Puis j’ai profité de la petite mouvance apparue à Niort. Je me souviens d’événements importants comme Media Jeunesse à Noron. Déjà des précurseurs du graff étaient présents. Ils ont notamment peint la galerie Hugo en centre-ville. Avec les Jeunes ouvrent la Brèche, en 1994, nous sommes partis pour un séjour graffiti à Barcelone. On a eu pas mal d’opportunités d’expression à Niort. Quelques commerçants nous ont payé le matériel pour peindre leurs devantures de boutiques.
Après je suis parti aux Beaux arts à Poitiers. Ca m’a permis de m’ouvrir beaucoup plus, du point de vue créatif."

  • Tu as été artiste professionnel ?

G.A. : "Avec Samuel François et Renaud Combes – les artistes également invités par Herbert Baglione - nous avons créé un collectif informel appelé Inkunstruction. L’aventure a duré cinq ou six ans. On a fait des expos - à Milan notamment - des performances. Nous avons été publiés. On travaillait sur des murs pour les collectivités…  En 2002 nous avons fait une grosse installation au Cac à Niort qui sortait de la pratique normative du graff."

  • Pourquoi ne pas avoir continué dans cette voie ?

G.A. : "Bien sûr nous avons essayé de vivre avec Inkunstruction. Mais même si on avait beaucoup de visibilité, nous n’avions pas d’argent. Peignant sur des murs on ne pouvait rien vendre. Nous étions dans une impasse économique. Moi j’étais près à faire des compromis et faire des dessins pour des marques de skate ou de snow board. Samuel était plus intègre et ne voulait vendre qu’à des collectionneurs."

  • Pourquoi ne pas peindre sur des toiles alors ?

G.A. : "Ce n’était pas notre démarche. On travaille dans les espaces, on prend les lieux en otage. Ce n’est pas un travail d’atelier, c’est plus spontané. En cela, on est resté proche de l’esprit graff. C’était aussi le sens de Inkunstruction. Nous étions admiratifs du travail de Katarina Grosse. On essayait surtout de ne rien construire. Comme dans le graff notre pratique était sauvage, rapide, émotive et éphémère. On n’était pas dans la technique ou l’esthétique. Parfois on inscrivait « Spontaneus as graffiti » sur nos œuvres pour donner des clés de lecture au public. Mais par définition ce principe de déconstruction ne peut pas durer. Il finit par devenir un carcan comme les autres."

  • Pourquoi revenir à l’art aujourd’hui ?

G.A. : "Après Inkunstruction chacun est parti de son côté. Samuel est resté dans l’art, Renaud a bifurqué vers l’œnologie. Moi je suis entré en agence de communication comme graphiste. Puis j’ai voulu redevenir indépendant pour avoir le temps de renouer avec une  pratique artistique. Même si mon travail de communiquant peut être satisfaisant à certains égards, il est toujours appliqué à quelque chose de concret, et non pas à une idée qui me tient à cœur tout simplement. Ce n’est pas totalement épanouissant, parfois j’étouffe un peu."

  • Comment as-tu renoué avec le travail artistique ?

G.A. : "Samuel François m’a invité pour un travail ponctuel, une installation à Rennes. En vingt minutes nous nous sommes à nouveau compris. Nous avons des références en commun, on aime les mêmes choses. La collaboration est toujours sympathique. Au Pilori, avec Herbert Baglione, je sais que nous serons cohérents.
Aujourd’hui je reviens petit à petit dans le réseau avec Eric Surmont, Baglione et les deux anglais SheOne et O.Two…"

 

Propos recueillis
par Karl Duquesnoy
le 12 nov. 2010